Pour Noam Chomsky, il n’y a pas au Mali de guerre contre le terrorisme, mais bien plus sûrement une prise de contrôle irresponsable de ressources énergétiques ou de positions géopolitiques. Les propos du vieux philosophe, qui s’adonne depuis plus de 40 ans à la critique de la politique étrangère des Etats-Unis, ne relèvent pas seulement de son franc-parler habituel, mais plutôt des données de la realpolitik.
Les richesses
controversées du Sahel attisent la convoitise des grandes puissances
internationales désirant s'assurer le contrôle de la région. Dans un contexte
géopolitique mondial marqué par la crise financière, les enjeux énergétiques
sont, plus que jamais, au centre des conflits internationaux. Durant les dix dernières
années, le Sahel s’est érigé, malgré sa pauvreté manifeste, en un hub
énergétique mondial particulièrement convoité. Dans cette vaste région où la
nature des reliefs, les espaces lacunaires et les angles morts favorisent
l'amplitude et l'imbrication des flux criminels de tous bords, la guerre livrée
par la France et ses coalitionnaires, au nom de la "lutte contre le
terrorisme", si chère à M. Bush, risque bien d’être l’arbre qui cache la
forêt.
Fraîchement sortie socialiste ou, du moins, "socialisante", la France, qui semblait plutôt vouloir prendre ses distances avec le périlleux héritage de la France-Afrique dans la sous-région, s’est fait subtilement rattrapée par le syndrome de la guerre au Nord du Mali.
Pour "l’oncle Napoléon", les prétextes ne manquent pas, quand bien même ils relèvent du registre de la grande contradiction. De la célébrissime triste expression de "logique de guerre" de M. Mitterrand, lors de la première guerre du Golfe contre l’Iraq, à la récente décision de M. Hollande, d’envoyer son armada au Nord du Mali, les réflexes sont restés pratiquement les mêmes. L’instrumentalisation politique de la lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda est invoquée de nouveau dans un emprunt explicite au vocabulaire belliqueux des néoconservateurs américains. Pas de quoi se vanter pour une France qui se veut, aux yeux des Africains tout comme des Américains et des Nations unies, la "puissance indispensable" dans la sous-région.
Pourquoi la France, qui ne cache pas son appui aux groupes salafistes armés de la nébuleuse Al-Qaïda en Syrie, s’empresse-t-elle de se transformer en va-t-en-guerre contre ces mêmes groupes au Sahel ? La réponse est forcément politique et non juridique, comme l’avait récemment expliqué le juge antiterroriste français Marc Trévidic, dans une entrevue au Journal du dimanche.
Fraîchement sortie socialiste ou, du moins, "socialisante", la France, qui semblait plutôt vouloir prendre ses distances avec le périlleux héritage de la France-Afrique dans la sous-région, s’est fait subtilement rattrapée par le syndrome de la guerre au Nord du Mali.
Pour "l’oncle Napoléon", les prétextes ne manquent pas, quand bien même ils relèvent du registre de la grande contradiction. De la célébrissime triste expression de "logique de guerre" de M. Mitterrand, lors de la première guerre du Golfe contre l’Iraq, à la récente décision de M. Hollande, d’envoyer son armada au Nord du Mali, les réflexes sont restés pratiquement les mêmes. L’instrumentalisation politique de la lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda est invoquée de nouveau dans un emprunt explicite au vocabulaire belliqueux des néoconservateurs américains. Pas de quoi se vanter pour une France qui se veut, aux yeux des Africains tout comme des Américains et des Nations unies, la "puissance indispensable" dans la sous-région.
Pourquoi la France, qui ne cache pas son appui aux groupes salafistes armés de la nébuleuse Al-Qaïda en Syrie, s’empresse-t-elle de se transformer en va-t-en-guerre contre ces mêmes groupes au Sahel ? La réponse est forcément politique et non juridique, comme l’avait récemment expliqué le juge antiterroriste français Marc Trévidic, dans une entrevue au Journal du dimanche.
Certes, le Sahel est
devenu un espace de confrontation géopolitique et géostratégique entre les
différentes puissances régionales et internationales pour le contrôle des
richesses naturelles qu'il recèle : pétrole, gaz, or, phosphates, diamants,
cuivre, fer, charbon, nickel, zinc, bauxite, uranium, plutonium, manganèse,
cobalt, argent, chrome, étain, sels minéraux, eaux douces, poissons, crustacés,
diversité biologique, cheptels de bétails, bois précieux, etc.
Zone charnière entre
l’Afrique subsaharienne et la Méditerranée, avec ses 80 millions d’habitants,
ce vaste territoire de plus de 9 millions de km2, difficilement contrôlable,
est devenu un sanctuaire dédié à l’insécurité. Écologiquement et économiquement
délabré et laissé pour compte, le Sahel dans son immensité a constitué un
véritable Eldorado pour abriter les nouveaux terrorismes franchisés d’Al-Qaïda
(Aqmi, Mujao, Ansar Dine, etc.) qui cohabitent désormais, avec les
activités illicites et criminelles de tous bords.
Une véritable
géopolitique des tubes, sur fond de rivalités internationales croissantes,
commence à se dessiner au Sahel. Dans cette vaste région débridée, allant de
l'Atlantique à la Somalie et de la Méditerranée au Golfe de Guinée,
l'évaluation des enjeux de sécurité à travers le prisme des flux dévoile les
parcours transsahariens qui, loin d'être des terroirs hermétiques et compartimentés,
se chevauchent et se recoupent pour créer une multitude d’équations
géopolitiques intangibles.
Les grands États de la
planète s’activent depuis quelques années déjà pour organiser progressivement
le désenclavement des richesses du Sahel afin de les acheminer ensuite vers les
zones de consommation : en Asie via le Soudan, en Amérique via le Golfe de
Guinée et vers l’Europe continentale à travers l’Atlantique, le Sahara et le
Maghreb.
Paradoxalement,
l'abondance des ressources naturelles et l’importance de la position
géostratégique de la région du Sahel vont de pair avec la fragilité de la
plupart de ses États eu égard à leur instabilité et insécurité
caractéristiques. Avec une démographie galopante, qui devrait atteindre 100
millions d’habitants en 2020, avec un taux d’illettrisme dépassant les 54%, une
pauvreté endémique touchant plus de 50% des populations, une corruption
généralisée, une conflictualité constante, le Sahel est resté une région
"en panne".
La conjugaison de
l’ensemble de ces problèmes génère souvent des crises politiques et militaires
ou des catastrophes alimentaires, des pénuries, des famines et des disettes
récurrentes qui engendrent des déplacements massifs de populations en désordre
sous formes de réfugiés et/ou de migrants clandestins. Le jeune cinéaste et
musicien canadien d’origine sénégalaise Musa Dieng Kala, ne serait pas le seul
à s’interroger dans son film : "Dieu a-t-il quitté
l’Afrique ?"
Sahel et prismes des flux
Sahel et prismes des flux
L’étymologie du terme
"Sahel" est profusément contrastée. Mot arabe qui signifie
littéralement "rivage", le Sahel désigne aujourd’hui exactement le
contraire de son sens d'origine. A priori, le Sahel serait là où la
régularité des conditions d'écologie et de climat rend à nouveau la vie
possible après le franchissement, particulièrement pénible, de l’immense désert
saharien. De nos jours, le Sahel est ainsi antinomique de sa propre
signification.
Déjà, à l’époque
médiévale, les anciens géographes arabes distinguaient, en se référant aux
grands empires sahéliens, deux notions : "Bilad es Seibâ" ou
pays de la dissidence et "Bilad es Silm" ou pays de la paix. Entre
ces deux repères géographiques, il y a toujours eu des espaces
d’indétermination sociologique, politique, économique et militaire. Il s’agit
d’un espace mouvant où des puzzles de terroirs, pratiquement incernables et
indécis, oscillaient selon les dispositions des rapports de forces
conjoncturels, entre les différents centres de décision politico-militaires,
plus ou moins stables et sédentarisés situés sur les confins de cette région.
Les modes opératoires de
gestion de l’espace sahélien n’avaient pas connu de changements véritables
depuis des siècles. Les anciennes revendications territoriales, commerciales ou
culturelles, notamment pour l’accès à l’eau, à la terre et aux ressources
naturelles, s’imbriquent de nos jours avec les nouvelles difficultés générées
par la mondialisation des flux d’échanges planétaires. Les modes traditionnels
d’exercice du pouvoir sur ces espaces charnières, sous-administrés et
sous-défendus de tous les temps, se faisaient à travers des droits de passage,
de protection et d’usufruits réclamés par les riverains.
En effet, ce fameux
territoire du Sahel, vulnérable du fait même de sa géopolitique saharienne
propice à la dilution des frontières et à la mobilité des personnes, des
montures et des équipements logistiques, a été historiquement le théâtre éludé
de nombreux flux ambulants : humains, marchands, financiers, culturels,
religieux et militaires. Nonobstant, le champ sahélien n’obéit pas à un système
de forces homogènes. Il reste incapable de s’autoréguler, de parvenir à une
certaine stabilité autour d’un ultime point d’équilibre. Les altercations au
Sahel évoquent les dissonances d’un orchestre sans chef.
Instabilité endogène
La fragilité endogène du
Sahel découle d’une profonde vulnérabilité des États postcoloniaux qui en
composent le tissu. Espace tampon, mais surtout espace de contacts et
d’échanges, le Sahel ne cesse de développer une conflictualité endémique de
plus en plus difficilement contrôlable. Dans cette région, les facteurs
déstabilisateurs sont nombreux et variés : la fragilité structurelle
et conjoncturelle de ces États, l’extrême pauvreté des populations, la
sécheresse et la dégradation du milieu naturel, les luttes internes de pouvoir
qui y gangrènent, la militarisation croissante de ses rapports sociopolitiques,
la forte pression de sa démographie, les conflits régionaux, l’insécurité
généralisée et les velléités étrangères, ont fini par la transformer en un
espace de confrontation géopolitique permanente.
Un demi-siècle après
leur indépendance, les États postcoloniaux demeurent incapables de parachever
leur autorité sur leur propre territoire. Le délitement de tout État
fragile le livre potentiellement à ses forces anarchiques intrinsèques et/ou à
la domination extérieure. Étant un espace particulièrement sous-administré et
mal géré, le Sahel souffre d’une mauvaise gouvernance chronique qui hypothèque
dangereusement son avenir.
Les douze pays qui
constituent officiellement la région du Sahel sont pratiquement tous classés, à
un titre ou un autre, comme pays fragiles selon les critères de l’OCDE. Ce
classement signifie que les systèmes de sécurité des pays concernés, sont
incapables de jouer avec efficience le rôle majeur qui leur est dévolu, rôle
qui consiste à assurer la protection de la souveraineté, du territoire, des
personnes et des populations des pays en question. Pire encore, dans certains
contextes, les crises d’instabilité affectant périodiquement et/ou fréquemment
ces pays, faisaient apparaître leur système de sécurité comme étant la cause ou
une partie prenante dans les facteurs d’insécurité et d’instabilité qui
menacent la démocratie, l’État de droit et la sécurité humaine dans lesdits
pays. Seuls deux pays du Sahel sur douze ont échappé à un coup d’État militaire
en 45 ans ; seuls quatre pays membres de la CEDEAO sur 15 n’ont pas été
affectés depuis 30 ans par un conflit violent aux frontières ou à l’intérieur.
Au Sahel, l’insécurité
revêt plusieurs facettes. Les flux de la criminalité organisée y ont trouvé
largement leur place, soit en s'adossant aux circuits traditionnels des flux
d’échange, soit en occupant les espaces laissés vacants par la relâche des États
affaiblis. Allant du trafic des migrants clandestins, estimé entre 65.000 à
120.000 par an, à celui des armes légères avec environ 8 millions de pièces qui
circulent en Afrique de l’Ouest, dont plus de 100.000 kalachnikovs au Sahel, en
passant par celui des drogues, pour finir avec le terrorisme régional et
international, la criminalité organisée, y compris le terrorisme transsaharien,
a été érigée en créneau porteur à travers une dynamique capitalistique en plein
essor dans un environnement d’extrême pauvreté.
Conflictualités des enjeux énergétiques
Conflictualités des enjeux énergétiques
Dans un contexte géopolitique mondial marqué par la hausse continue des cours des hydrocarbures et une forte demande en la matière, les appétits des grandes puissances sont facilement attisés. La crise financière internationale et les revirements des conflits d’intérêts internationaux dans la région du Sahel, particulièrement riche d’importantes réserves d’énergies fossiles et de gisements de minerais stratégiques créent, à nouveau, une tentation énorme chez les grandes puissances deà trouver un prétexte pour s’y déployer. Tant pis pour la légalité internationale et la démocratie !
Dans ce contexte, la
France dispose d’une longueur d’avance par rapport aux autres. Elle possède
déjà des troupes positionnées dans la région du Sahel ou à proximité. Elle
dispose également de quatre bases militaires permanentes au Sénégal (1200
hommes), au Tchad (1250), en Côte d’Ivoire (2000), au Gabon (900) et à Djibouti
(2900), en plus de sa présence limitée et non permanente dans d’autres pays de
la sous-région comme le Cameroun, la Mauritanie, le Burkina Faso et la
Centrafrique.
Concernant les
États-Unis, bien que leur présence militaire officielle au Sahel n’existe pas
encore, les câbles diplomatiques dévoilés par WikiLeaks révèlent une
autorisation "réticente" de survol accordée par les autorités
algériennes à l’U.S. Air Force pour des missions au Sahel contre l’Aqmi. Déjà,
les États-Unis avaient lancé, dès 2002, l’initiative Pan Sahel et organisent
régulièrement des exercices militaires de type Flintlock avec les armées des
pays du Sahel. En décembre 2008, la Force tactique en Europe du Sud (SETAF) a
été transformée en U.S. Army Africa (Armée USA pour l’Afrique), qui est une
composante du Commandement Africa (AfriCom) devenue opérationnelle depuis
octobre 2009. D’après des représentants du gouvernement américains, cette
transformation constitue une "nouvelle façon de regarder vers
l’Afrique". Bien que la base de l’U.S. Army Africa soit actuellement à
Vicence en Italie, ce corps opérera sur le continent africain avec
de petits groupes pour conduire des opérations de "réponse aux
crises" en se servant de la 173e Brigade aéroportée. Fruit de
la reconnaissance américaine de l’importance stratégique croissante de
l’Afrique, l’U.S. Army Africa continuera à s’agrandir dans le cadre de
commandement des forces navales AfriCom.
La Chine a également
fait ses entrées économiques colossales dans la région du Sahel depuis quelques
années déjà. La concurrence chinoise avec les autres pays est en expansion. La
Chine est actuellement le second partenaire commercial de l’Afrique, après les
Etats-Unis. Les investissements chinois sont en forte croissance même dans les
pays traditionnellement liés aux Etats-Unis. En Éthiopie, la China Exim Bank a
investi récemment 170 millions de dollars pour la construction d’un complexe
résidentiel de luxe à Addis Ababa, et une autre société chinoise, Setco, a
annoncé la construction de la plus grande usine de P.V.C. dans ce pays. Au
Liberia, la China Union Investment Company a investi 2,6 milliards de dollars
dans les mines de fer. Des sociétés chinoises ont aussi effectué de gros
investissements qui dépassent 2 milliards de dollars par pays, dans les
secteurs pétroliers au Nigeria et en Angola, jusque-là dominés par les
compagnies occidentales.
Israël est présente au
Sahel elle aussi. L’Iran s’intéresse aux minerais stratégiques du Sahel, à
l’uranium notamment, et cherche à y réaliser des percées substantielles. La Russie,
l’Inde et le Brésil seraient aussi déterminés à être de la partie.
L’intensification de la présence économique et militaire des acteurs
extérieurs, et les conflits d’intérêt qui en découlent, contribuent à
déstabiliser davantage les Etats fragiles et affaiblis dans la région de Sahel.
A partir de 2015,
l’Afrique sub-saharienne serait susceptible de devenir pour les Etats-Unis une
source d'énergie aussi importante que le Moyen-Orient, disposant de quelques
60 milliards de barils de réserves pétrolières avérées. Les experts s'attendent
à ce qu’un baril de pétrole sur cinq entrant dans le circuit de l'économie
mondiale provienne du golfe de Guinée et que la part des importations
américaines de pétrole africain passe de 20% en 2010 à 25% en 2015. Les investissements
des compagnies pétrolières européennes et américaines sont en constante
progression depuis 2000. ELF y puise près de 60% de sa production de pétrole.
Total et Gazprom s’apprêtent à financer le projet de gazoduc transsaharien de
4000km pour relier le Nigeria à l'Algérie d'ici à 2015. L’attractivité du golfe
de Guinée est de plus en plus grandissante depuis la mise en service, en 2003,
de l’oléoduc Tchad-Cameroun qui relie les champs pétrolifères de Komé, dans le
sud-ouest du Tchad au terminal maritime camerounais de Kribi, sur un parcours
de 1.070 km.
C’est au gré des
intérêts croissants des puissances internationales que la tectonique des
frontières conflictuelles sera de plus en plus récurrente dans la région du
Sahel. La sécession du Sud Soudan a été consommée, celle du Mali est encore
incertaine. D’autres scénarios sont probables dans cette région extrêmement
riche en ressources naturelles.
La demande mondiale en
pétrole et en gaz naturel étant appelée à doubler dans les vingt prochaines
années, le Sahel pourrait alors jouer un rôle prépondérant de fournisseur
d’énergie. Sans compter le potentiel de l’Algérie en pétrole et en gaz, le Mali
est le troisième producteur d'or du continent, le Niger, avec ses gisements
d'uranium se place au second rang mondial, la récente entrée de la
Côte-d'Ivoire, du Ghana, du Tchad et de la Mauritanie dans le groupe des pays
producteurs de pétrole, confirme la tendance. La production du champ off-shore
ghanéen est estimée à 120.000 barils/jour, celle de Côte-d'Ivoire à 80.000
barils/jour. C’est dans ce contexte des stratégies de positionnement, de prise
de contrôle, d’encerclement et de contre-encerclement que se définissent des
enjeux géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques de la zone sahélienne.
En conséquence, une
grande partie des populations pauvres du Sahel, dépourvues de leur droit à la
sécurité humaine au sens élargi du terme (incluant la sécurité alimentaire, la
sécurité sanitaire, l'accès à l'eau potable, etc.), se retrouve souvent contrainte
de prêter allégeance à des groupes criminels, rebelles et/ou terroristes soit
pour bénéficier des retombées des trafics illicites soit pour obtenir une
ultime protection. A cela, s'ajoutent les effets pervers de la mise en place
d'économies parallèles bâties sur la corruption et le racket, et enfin, la
sanctuarisation de groupes terroristes délocalisés d’Al Qaida, Aqmi et Cie.
Terrorisme franchisé
Au Sahel, toutes les
menaces d’insécurité s’entremêlent. L’islamisme combattant va de pair avec le
terrorisme international, la piraterie et toutes sortes de trafics illicites.
Les anciens réseaux et ceux récemment recréés s’imbriquent pour pérenniser et
sécuriser le système de la criminalité internationale organisée en
s’affranchissant des distances et des frontières. En pleine mutation, ces
différents réseaux transfrontaliers bénéficient grandement des recettes des
trafics pour acquérir, à nouveau, les moyens nécessaires pour pouvoir
développer et continuer leurs activités criminelles.
C'est pourquoi, en
réalité, il ne peut y avoir de lutte anti-terroriste efficace sans lutte
globale contre toutes les autres formes de criminalité. L’interdépendance des
phénomènes est désormais corroborée. Guidées principalement par leur souci de
survivre et leurs intérêts convergents, les organisations criminelles profitent
des actions violentes des organisations terroristes, des guérillas et des
rébellions locales, tandis que ces dernières bénéficient des financements que
les activités criminelles sont en mesure de leur fournir.
Actuellement, la
collaboration entre Aqmi et les réseaux mafieux du Sahel se développe plutôt
vers une forme de spécialisation de l’entreprise criminelle. Cette tendance a
été révélée en Mauritanie en 2010 à travers l’affaire controversée d’Oumar
Sahraoui. Il existerait d’autres hypothèses sur une éventuelle dérive
narcotrafiquante signalée depuis quelques temps chez le Front Polisario, ainsi
que chez certains leaders des mouvements indépendantistes de l'Azawad.
Infiltrés aussi bien par
les services de renseignement des pays riverains comme par les centrales
d’intelligences internationales, la dynamique des réseaux terroristes
s’imbrique avec les calculs géopolitiques des rivalités régionales extrêmement
sensibles et complexes. Cette attitude alimente l’instrumentalisation de la
sécurité comme enjeu majeur dans les rapports de force, tout comme dans la
gestion des conflits d’intérêts politiques, économiques et stratégiques à
l’échelle régionale. Les cas de figure sont nombreux et diversifiés, allant des
subtiles controverses des relations bilatérales entre l'Algérie et la France,
fortement marquées par le poids du passé colonial, aux instigations des
conflits régionaux ajournés, dont la persistance constitue une source d’inquiétude
supplémentaire pour la sécurité de toute la région, notamment dans les cas du
Sahara occidental et celui du mouvement indépendantiste touareg dans le Nord du
Mali.
L’implication de la
communauté internationale (ONU, G8, UE) dans le renforcement des capacités
du système régional de sécurité au Sahel se heurte à plusieurs difficultés.
Au-delà des problèmes d’ancrage juridique, institutionnel et politique, du
manque de moyens financiers et logistiques, de l’absence de réforme du secteur
de sécurité, la coordination des efforts de lutte contre les menaces
d’insécurité au Sahel prête souvent à une tentation d’internationalisation de
la menace Al-Qaïda dans cette région par transposition du modèle afghan. Cette
perspective est souvent assimilée à une sordide connivence avec des agendas
néo-colonialistes, dont les objectifs inavoués visent à assurer le
contrôle par des puissances occidentales - les Etats-Unis et l’Europe notamment
- de la route de l'ouest des flux énergétiques, notamment dans les nouveaux
sites de réserves récemment découverts dans cette région, au détriment des
autres puissances régionales ou internationales comme la Russie, la Chine et le
Brésil, etc.
Risques d’enlisement
Dans le cas de la
Mauritanie, les menaces d’insécurité au Sahel, et leurs incidences directes et
indirectes, se conjuguent avec la complexité de la condition géostratégique
structurellement fragile de ce pays. Le résultat est un véritable engrenage de postures
inquiétantes, voire dangereuses.
Au lendemain de la
sortie d’une longue série de périodes d’exception en cascades, la Mauritanie,
qui reste fortement tributaire des écarts disproportionnés entre la géographie
de son histoire et l’histoire de sa géographie, se trouve aujourd’hui
inopportunément piégée au milieu d’un duel périlleux entre des David et des
Goliath en lutte pour le contrôle du Sahel.
Au terme d’un
demi-siècle d’indépendance, la Mauritanie est de nouveau prise dans les feux
croisés d’une bataille que se livrent des stratégies internationales et
sous-régionales diamétralement opposées, quand bien même elles sont subtilement
convergentes et coordonnées. Les arrangements tactiques franco-américains
conflueraient actuellement pour faire de la Mauritanie leur fer de lance dans
leur lutte contre Al-Qaida dans la région du Sahel. Pourtant, le pays reste
pleinement visé par la nouvelle stratégie de survie d’Aqmi à travers sa
descente dans l’espace saharo-sahélien après les attaques de l’aviation
française au Nord du Mali.
Depuis plus d’une
décennie, le no man’s land mauritanien est devenu un terrain
d’accueil privilégié pour le potentiel de nocivité des différents réseaux
terroristes et contrebandiers délocalisés dans la région du Sahel. Etant le
plus grand portail atlantique du Sahel avec ses 754 km de côtes, sa superficie
surdimensionnée de plus d’un million de km2, ses reliefs difficiles et
accidentés, ses labyrinthes désertiques à faible densité humaine, la Mauritanie
est par excellence le pays sahélien le plus fragile et le moins contrôlable.
Désormais, les lisières périphériques du Nord et du Nord-Est de la Mauritanie,
où les frontières avec ses voisins d’Algérie et du Mali se perdent immuablement
dans l’immensité impitoyable du désert, offrent indiscutablement un véritable
paradis pour toutes sortes de trafics illicites : armes, tabac, carburant,
drogues, devises, etc.
Cependant, la Mauritanie
est restée curieusement le maillon le plus faible de la région du Sahel, malgré
son potentiel considérable de ressources naturelles. Les statistiques de Global
Security estiment que le budget annuel alloué aux dépenses militaires
en Mauritanie ne dépassait pas, en 2005, le montant de 19 millions de dollars
US, contre 45 millions pour le Niger, 50 millions pour le Mali, 117 millions
pour le Sénégal, 2,3 milliards pour le Maroc et 3 milliards pour l’Algérie. Au
titre de l’année 2013, il est attendu que les crédits défense/sécurité,
proposés dans le cadre du budget mauritanien atteignent à peine 150 millions de
dollars.
Certes, la Mauritanie
est l’héritière de l’empire des Almoravides, ou al-Murābitūn, cette dynastie
berbère, qui avait constitué le plus grand empire du Sahel, englobant la partie
Ouest du Sahara, la partie occidentale du Maghreb et une bonne partie de la
péninsule ibérique au XIe et XIIe siècles, après avoir
repris Aoudaghost, principal comptoir commercial sahélien de l’empire du
Ghana en 1054, avant de fonder Marrakech et de conquérir l’Espagne en 1086.
Plusieurs siècles
durant, les anciennes cités historiques de Mauritanie comme Ouadane, Tinigui,
Chinguetti, Azougui, Tichit, Oualata, Combi Saleh etc., avaient brillé par leur
inexorable pratique du commerce transsaharien florissant et leur
importante position géostratégique et militaire. Au début du 20e siècle, la Mauritanie
a attiré la convoitise des Français déjà installés à Saint-Louis, qui y
voyaient un haut lieu stratégique pour contrôler les périphéries de leurs
colonies en Afrique du Nord et en Afrique occidentale et pour neutraliser les
mouvements nationalistes de résistance.
Toutefois, le statut
géopolitique de la Mauritanie actuelle, ainsi que son potentiel économique et
militaire, ne sont plus, de la mémoire impériale de ce pays, que l’ombre
d’elle-même. Confrontée aux menaces d’insécurités tous azimuts, la logique des
choses et le bon sens interpellent plutôt la Mauritanie à se résigner
inévitablement à faire la politique de ses moyens quand bien même elle n’a pas
les moyens de faire ses ambitions politiques.
Acteur et victime de
l’ambivalence de sa propre politique étrangère, la Mauritanie a été l’un des
pays sahéliens qui a accueilli des équipes spéciales de la U.S. European
Command (EUCOM) en 2004 dans le cadre de la guerre contre le terrorisme.
L’objectif de cette mission portait sur la mise en œuvre des formations et
entraînements internes du programme d'assistance de sécurité "Initiative
Pan-Sahel", fournis par le département d'État américain à la Défense.
C’est cette même
Mauritanie, ayant eu en 2010 des velléités de bousculer l’Algérie voisine comme
gendarme du Sahel, qui abriterait plutôt discrètement un détachement du
Commandement des Opérations Spéciales Françaises (COS). Ce détachement, d'une
centaine d'hommes environ, basé à Atar, est chargé de la formation des GSI
(Groupements spéciaux d'intervention) de l’armée Mauritanienne qui ont été
impliqués dans les opérations contre Aqmi en 2010 au Mali. Le détachement
aurait participé également à l’opération militaire franco-mauritanienne dans le
Nord du Mali pour libérer l’otage français Michel Germaneau. A en croire
certaines sources spécialisées, ce même détachement aurait été déployé à
Ouagadougou, pour une éventuelle action contre Aqmi au Mali. L’idée de la
formation des Groupes Spéciaux d'Intervention (GSI) pour la lutte contre le
terrorisme au Sahel serait éventuellement élargie par la France au Mali et au
Niger.
D’un point de vue
géostratégique, l’analyse des imbrications des données actuellement disponibles
et leurs incidences potentielles sur l’aggravation des menaces d’insécurité et
d’instabilité en Mauritanie fait ressortir indiscutablement des risques
d’enlisement réels. Certes, la guerre au Sahel contribuerait à l’épuisement des
réseaux d’Aqmi, mais elle lui donnera une nouvelle légitimité au Sahel. C’est pourquoi,
les groupes salafistes rêvaient sans doute d’une internationalisation rapide de
la guerre contre eux. Cependant, la diabolisation d’Aqmi pourrait aussi voiler
les véritables enjeux de la confrontation. La menace terroriste au Sahel ne
serait-t-elle pas délibérément amplifiée pour servir d’alibi aux interventions
visant à prendre le contrôle exclusif des richesses de la région ?
Au cours des cinq
prochaines années, la géopolitique du Sahel sera déterminante pour l’avenir de
la stabilité de l’Afrique, de même que pour celle de ses voisins européens pour
les vingt années à venir. Le Sahel, qui demeure à la croisée des chemins de
tous les dangers, restera encore longtemps une zone sensible où se jouera une
grande partie de l’avenir du monde.
Quant aux perspectives
de la guerre au Nord du Mali, je pense qu’elle a ouvert la boîte de Pandore… Le
"Serval" de Napoléon risque d’ébranler toute la région sur le chemin
périlleux d’un nouvel Afghanistan au Sahel !
Les minutes de la guerre
au Mali ne seront que les prémisses d’une nouvelle ère géopolitique où les
cartes géographiques et politiques de la région du Sahel seront redessinées de
nouveau dans le style classique des accords secrets de Sykes et Picot. Ces
fameux accords qui ont été signés en 1916 entre la France et
la Grande-Bretagne, avec l'aval des Russes et des Italiens, prévoyaient le
partage du Moyen-Orient à la fin de la Première Guerre mondiale, en zones
d'influence entre ces puissances, dans le but de contrer les revendications
Ottomanes et de trahir les espoirs des Arabes pour l’indépendance et
l’autodétermination de leur peuple, lesquels avaient pourtant soutenu les
puissances occidentales durant la guerre.
Les nouvelles cartes de
partage de la région du Sahel sortiront cette fois-ci avec une saveur âcre de
soupe à la grenouille, savamment préparée au style culinaire de la rue de
Solférino.
Le fameux tandem Sykes
et Pico se retourneraient actuellement dans leur tombe, prendraient
certainement des crayons, des morceaux de papier blanc et des cartes grises
concoctées pour la région du Sahel et se prépareraient maintenant à tracer des
lignes nouvelles, des frontières nouvelles et à créer des entités nouvelles…
Diviser encore ce qui
avait déjà été une partition, segmenter davantage et séparer à l’infini les
entités intrinsèquement inséparables. Avec la guerre de "l'oncle Napoléon" au Nord du
Mali, aucun pays du Sahel ne serait à l’abri, désormais, de l’effet des crayons
traceurs des nouveaux Sykes et Pico !
Mode de citation : Mohamed Saleck OULD BRAHIM, « Mali : les limites d’une aventure impériale », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 5 mars 2013
Très bonne analyse, s'il n'y avait pas de traces de la propagande du Maroc sur le Polisario. S'il y a des sahraouis dans le trafic de drogue, il y a aussi des mauritaniens, des marocains et des maliens et cela ne veut pas forcément dire l'implication de leurs Etats respectifs.
RépondreSupprimerVoyez-vous, le site mauritanien Alakhbar accuse le président Mohamed Ould Abdelaziz de complicité avec les traficants de drogue, mais cela aussi fait partie de la campagne marocaine qui voit en Ould Abdelaziz un ami de l'Algérie et un certain penchant pour les sahraouis.
Pour le reste, je vous félicite pour l'article.